La vie à Avalon s'écoule lentement, et personne ici n'aurait l'idée de venir troubler ce détachement et cette sérénité propre aux prêtresses. Pourtant, dans la petite clairière près des berges de l'île, à l'abri des regards, l'ordre naturel allait une fois de plus être menacé... par Mábh.

Mábh, qui n'avait cure des conséquences de ses actes à partir du moment où elle pouvait pratiquer son art occulte sans avoir à en payer le prix, était assise au milieu de la clairière devant un tas de feuilles et de graines en combustion. Elle tentait de désépaissir le brouillard de l'avenir. La sorcière cherchait désespérément des informations ou des réponses susceptibles de l'aider à devenir plus puissante qu'elle ne l'était déjà. Ne pouvant voir plus loin que le bout de son nez, les dieux ne désirant pas lui ouvrir la porte de la connaissance, Mábh posa ses mains de chaque côté du brasier.

Les mains plantées dans le sol comme pour en aspirer l'énergie vitale, la sorcière commença à réciter une incantation apprise dans un vieux livre de magie noire.

«Grant me, Guardian of all knowledge, thy domain of primal strength, accept me and the powers I possess.»

Un énorme serpent sorti alors de derrière un arbre, et s'approcha de Mábh dans un sifflement sourd. Il était le gardien de la connaissance magique, et l'invoquer était synonyme de protection pour l'endroit choisi. Lorsque le serpent fut à sa portée, la jeune femme sorti une dague effilée et en transperça la créature d'un geste vif; puis elle mis ses doigts dans la plaie ensanglantée du serpent, et jeta ces gouttes écarlates sur le brasier encore chaud. Une épaisse fumée se dégagea alors du tas de feuille, d'une limpidité aveuglante pour qui savait la lire, et au moment où Mábh allait enfin pouvoir plonger dans les abysses de son destin... elle entendit une branche craquer.

Hilda recula précipitamment, les sourcils froncés, un air déçu qui ne lui allait pas peint sur son doux visage. Elle lui dit d'une voix tremblante de rage:

«J'étais certaine que tu recommencerais. Regarde ce que tu as fait ! Tu as tué le Gardien... Comment peux-tu encore te regarder dans un miroir ?»

Mábh se redressa vivement, et tenta de dissimuler ses mains rouge de sang derrière son dos. Elle marcha sur le tas de feuille pour en éteindre les braises, et s'avança vers Hilda d'un air suppliant.

«M'amie, je t'en prie...
- Non ! Pas cette fois. Tu détruis tout ce que tu touches. La Nature... elle n'a aucune signification pour toi. Tu me dégoûte.»

Hilda tourna alors les talons, et s'enfui dans les bois en direction du couvent d'Avalon, pour annoncer une vérité que la Grande Prêtresse connaissait déjà depuis longtemps. Mábh tenta de l'arrêter en lui courant après, mais Hilda la fit trébucher d'un sortilège bien placé.

Pour des prêtresses qui par définition n'avait pas le droit d'aimer, ces deux là s'étaient déjà beaucoup trop engagées sur le chemin de la passion. Mais pour Hilda, son devoir de prêtresse passait avant tout le reste, comme pour Mábh son besoin de magie. Et cette dernière allait être bannie pour cette faiblesse.



«La dame en... D6.
- Vous pensez pouvoir gagner avec un coup pareil ?
-Taisez-vous donc, et jouez.»

Mábh tapotais sur le bord de l'échiquier en pierre. Ses longs cheveux blonds noués haut sur sa nuque, elle se balançait inconsciemment de gauche à droite et de droite à gauche. Son adversaire l'observait par dessus le champ de bataille, un sourire malicieux sur le visage.

«Le fou en D2. Vous n'avez pas de client aujourd'hui ?»
Elle poussa un soupir, avant de déplacer une autre pièce.
«Non, je n'ai vu personne. Et je me trompe rarement.
-Alors qu'est-ce qui vous tracasse ? ...Ah, échec et mat.»

La sorcière regarda le plateau avec incrédulité, avant de le faire disparaître d'un geste désinvolte.

«Bon dieu, je n'arrive pas à me concentrer. Mes projets n'avancent pas en ce moment, et ça me rend folle !» Elle tapa du poing sur la table au moment où un corbeau vint se poser sur le rebord de la fenêtre ouverte. Un vent glacial balaya l'intérieur de la cabane en pierre, et Mábh poussa un nouveau soupire. Elle tendit son index vers le bec du corbeau, comme pour le caresser et le prendre à parti.
«Si seulement je pouvais mettre la main sur une favorite de la Grande Prêtresse, peut-être serait-elle un peu moins... insensible à mes efforts. Hm ? N'est-ce pas mon petit noireau ?»

L'homme qui était assis en face d'elle eu un petit ricanement. La sorcière leva les yeux aux ciel.

«Ultor, c'est au corbeau que je parlais, pas à vous. Mais cela dit, si vous connaissez la foutredieu de réponse à ma question, n'hésitez pas à m'aiguiller.»

Ultor passa sa main sur le pâle visage de Mábh. Il comprenait son désir brûlant de vengeance envers ceux qui l'avait abandonnée, mais il ne comprenait pas pourquoi tout ceci était si important pour elle. Elle, qui était si détachée de tout le reste, si détachée de l'avenir du royaume, de la guerre qui se préparait, des morts et des passions de Camelot... Il lui semblait qu'elle n'avait pas le sens des priorités, et qu'elle ne l'aurait jamais.

«Votre vie vous conviens, Amour ?
- Oui, je pense. J'ai une vie plutôt tranquille, ici...
- Pourquoi ne vous investiriez-vous pas un peu plus dans l'ordre des Marcheurs ? Je ne comprends pas votre indifférence, parfois.
- Ecoutez, je n'en ai pas envie. Tout ce que je veux, c'est détruire les prêtresses, et cela vous avait paru suffisant lorsque vous m'aviez demandé de vous rejoindre.» De colère, elle se leva brusquement, et se mis à faire les cent pas autour de son chaudron. Le corbeau s'envola, perturbé par tant de mouvements brusques. «Après tout, vous, les Marcheurs, devriez être satisfaits ! Et VOUS, Ultor, devriez être foutrement satisfait de mon indifférence ! Je ne vous fais pas de concurrence, et je me contrefiche de Camelot ! Alors... Alors... laissez moi à mes plans, et occupez-vous donc des VOTRE.»

Le dénommé Ultor se leva à son tour, légèrement plus sombre qu'auparavant.

«Malgré tout, faites attention. Vous ne cherchez pas la concurrence, mais beaucoup d'entre nous la voient même là où elle ne se trouve pas...»
La sorcière fronça les sourcils, et se massa les tempes pour calmer sa migraine grandissante. Alors qu'Ultor allait passer le pas de la porte, elle lui dit d'un ton radouci:

«Ce qu'il me faudrait, c'est une bonne femme.»

Ultor eu un rictus approbateur.



Elle courrait à travers l'épaisse obscurité des bois, plus vite qu'elle n'avait jamais couru de sa vie. Loin d'Avalon, loin de tout, égarée comme un vulgaire faon prêt à être sacrifié sur l'autel de la vengeance. Sa robe était tâchée de boue, et sa cape à moitié défaite sur ses épaules aussi pâle que la lune elle-même. Ses yeux gris brillaient d'une lueur d'effroi qu'il serait difficile d'oublier, et lorsqu'elle jeta un coup d'oeil derrière elle pour vérifier qu'elle n'était pas suivie, elle trébucha et heurta quelque chose qui se trouvait devant elle. Ou plutôt... quelqu'un.

Une haute silhouette encapuchonnée de noir se pencha alors sur la jeune femme à présent agenouillée par terre, et la saisi par le col de sa cape pour l'empêcher de s'enfuir. La respiration de cette belle et fraiche proie était saccadée, paniquée au delà de toute mesure, et elle commença à balbutier des paroles suppliantes.

«Je vous en prie, ne me faites pas de mal... Je... Pitié...»

Il n'y eu pas de réponse sous ce large capuchon plein de ténèbres. Ni ricanement, ni soupir, juste une sensation de gêne mêlée de fureur qui semblait émaner de l'inconnu avec une puissance perturbante.
La jeune femme tenta à nouveau de parler à son interlocuteur, pour le faire réagir, et peut-être le raisonner.

«Co.. comment avez-vous pu me rattraper ? Vous étiez derrière moi et ensuite vo..» Mais elle ne pu finir sa phrase, car l'inconnu venait de poser son index sur ses lèvres apeurées.

Ce même inconnu rejeta alors son capuchon en arrière, et une longue chevelure d'or se répandit sur les épaules drapées de noir de Mábh. Elle eu un sourire compatissant.

«Chtt-chtt-chtt, ça ne sert à rien de pleurnicher. Je n'ais pas fait tout ce chemin pour discuter avec toi, ma douce...»

Plongeant son regard dans celui, perdu, de la jeune femme,Mábh caressa sa joue avec une douceur presque maternelle. Elles étaient toutes les deux assises dans l'herbe humide, et la nuit autour d'elles était épaisse et impénétrable. La sorcière tira le col de la jeune femme jusqu'à elle, et embrassa sa jeune proie avec amour, s'imprégnant de son odeur de fruits des bois et de terreur refoulée.

Puis, profitant de la surprise momentanée engendrée par ce baiser, elle sorti un poignard de sous sa cape le plongea dans le ventre de la jeune femme. Cette dernière poussa un cri de surprise, et s'affaissa sur le sol aux côtés de Mábh. La sorcière accrocha le regard de la mourante, et lui dit d'une voix rauque:

«Ce n'est pas contre toi. Mais il me fallait passer un message à ta Grande Prêtresse. Me rappeler à son bon souvenir et... lui faire comprendre que je tuerais ses pouliches unes à unes, avant de m'occuper de son cas.»
Laissant pour morte la jeune prêtresse qui gisait dans son propre sang, Mábh se dissimula de nouveau sous son capuchon avant de s'éloigner dans la nuit.

Le lendemain matin des prêtresses, ayant eu une vision de la mort de leur congénère, vinrent chercher son corps dans la forêt. La Grande Prêtresse ne prononça pas un mot pendant ses obsèques.