« Lorsque je marche dans la vallée désertique, je ne crains nul fléau… » Levant ses yeux noisettes, elle hésita. « Lorsque je foule le sol de sable, je ne crains pas la Mort.. » Voyant l’approbation dans les yeux de son père, elle continua ainsi à réciter ce poème qu’elle avait elle-même composé, et ce, devant la Cour entière du duc de Westburry. Un grand feu crépitait dans son dos, projetant des ombres dansantes sur sa chevelure brune, et donnant à la fillette des airs de princesse des ombres. Elle termina son poème, et s’inclina. Son père applaudit, suivit de toute la Cour. Les joues rosies, elle s’empressa de disparaître derrière les jupons de sa nourrice. Elle ne savait pas pourquoi on l’avait obligée à écrire un poème, ni pourquoi son père avait voulu à ce qu’elle le récite devant tous ces gens, dont elle ne connaissait pas la plupart. Très vite, l’attention se porta sur le duc, et la fillette put s’éclipser sans risquer d’attirer les foudres de son père. Menée par la nourrice, elle retourna dans sa chambre, ou la femme l’aida à se changer et à se mettre au lit. Une fois les couvertures tirées jusque sous son menton, elle implora la nourrice de rester. « Parle-moi de maman. » La nourrice eut un doux sourire, et l’histoire qui suivie se mélangea au réel, et à l’irréel, plongeant la fille du duc de Westburry dans un profond sommeil. Regardant la petite fille s’entortiller dans ses couvertures, elle songea qu’il y a avait beaucoup de traits de Katarina, chez cette petite. Elle ne savait pas encore à quel point elle avait raison.


Il pleuvait. Le château était plongé dans un clair obscur inquiétant. Le duc de Westburry, se tenait, inébranlable, sur l’estrade, campé fermement sur ses solides jambes. La tête baissée, les cheveux cascadant devant les yeux, Nilrasha sentait son regard sur elle, un regard autoritaire, un regard que, déjà, elle n’aimait pas. Elle n’aurait jamais dû lui parler de ses visions. Deux femmes, se tenaient aussi dans la salle gigantesque. Leur présence lui donnait la chair de poule, et elle se tenait aussi éloignée d’elles que possible. Son père, jusqu’à présent impassible, pinça les lèvres. Il se tourna vers les deux femmes. « Pouvez-vous l’aider ? » « Oui. » lui répondit aussitôt la plus âgée - Nilrasha se retint de justesse de lui lancer un regard noir. « Bien. Sanna-Leena, vous irez avec ces deux prêtresses. Elles vont vous aider.. » « Non. » Nilrasha releva soudainement la tête, une lueur de défi au fond de ses yeux noisettes. Non, elle n’irait pas. Jetant un regard mi-effrayé, mi-haineux à la femme qui avait parlé, elle réitéra sa décision. « Non. » Elle n’aurait pas dû. Elle ne vit que son père se déplacer, sentit la gifle sur sa joue, le sol se dérober sous ses genoux. Elle tomba. « Vous irez. » La fureur qui couvait dans la voix de son père surpassait tout ce qu’elle avait entendu, et surtout, surpassait sa peur des deux femmes. Elles lui parurent bien sympathiques, à côté de ce ton si menaçant. L’une des prêtresses tendit la main vers elle. Apeurée, à la fois par son père, et par son attitude violente, elle l’attrapa. Et, sans un regard en arrière, les deux femmes l’entrainèrent hors de la grande salle, hors du château, hors des terres de Westburry.

Au delà de la brume, elles l'amenèrent. Au delà de ce que les mortels sont sensés connaître, elles la conduirent. L'île d'Avalon et ses mystères, le berceau du petit peuple, et de tous les êtres magiques que recelaient ce monde. Nilrasha n'avait aperçu l'île qu'à contrecœur, que parce que les deux femmes qui l'accompagnaient avaient tendu la main et désigné quelque chose au delà. Tournant son regard malgré elle vers le point désigné, l'ile d'Avalon dans toute sa splendeur lui fut révélée. Les deux femmes semblèrent soudainement plus joyeuses, presque légères. Elle les avaient sentie tendues tout le loin du trajet jusqu'à Glastonburry. L'une d'entre elles, tendit à nouveau la main, s'écriant : « elles nous attendent ! » Et Nilrasha aperçu, là, sur la rive, une assemblée de femmes.
La barque atteignit le rivage, et les deux femmes sautèrent à terre. Nilrasha les imita, un peu plus en retrait. Quelque chose lui disait qu'elle n'allait pas aimer son séjour chez les prêtresses. Et moins encore celle qui la regardait de si haut. « Ainsi, voici Nilrasha. » Son ton était neutre, comme si elle la présentait aux autres. « Nous sommes les Prêtresses d’Avalon, bienvenue chez toi. » Sanna-Leena s’abstint de tout commentaire désobligeant, sentant que c’était là exactement ce qu’on attendait d’elle, du moins, ce que cette femme attendait d’elle. Elle ne dit donc rien, et la prêtresse finit par tourner les talons, suivie de toutes les autres femmes. Jetant un coup d’œil à la ronde, Nilrasha grommela : « ce ne sera jamais chez moi. » et les suivit.

Dans les mois qui suivirent, sa prédiction se révéla absolument vraie. Sanna-Leena en vint à détester l’île. Et ses habitantes. Au départ, elle avait tenté de faire des efforts, de faire des autres filles ses amies. Elle ne savait pas pourquoi toutes semblaient absorbées uniquement par leurs pouvoirs. Elles ne arlaient que de ça. Et Nilrasha eut bientôt assez de ces pauvres conversations. Au réfectoire, un matin, alors qu’elle s’asseyait entre deux prêtresse qu’elle tentait d’apprécier, une question lui avait traversé l’esprit, et, sans crier gare, elle l’avait posée. « Pourquoi n’y a-t-il pas de garçons à Avalon ? Je veux dire, en tant que prêtres ? » On l’avait regardée bizarrement, puis l’éclat de rire avait été général. Sanna-Leena s’était sentie comme quelqu’un qui n’avait pas comprit une mauvaise blague. Les joues rosies, elle avait demandé ce qu’il y avait de si drôle, et les rires avaient redoublé d’intensité. N’y tenant plus, elle s’était levée, et avait quitté le réfectoire la tête haute, toisant les hilares du regard, la fureur se lisant sur son visage d’ange. Elle n’avait pas reparu à aucun de ses cours pour le reste de la journée. Ce fut Caroline, l’une des prêtresses qui l’avait ramenée ici, qui, finalement, la trouva. Les jambes dans le vide, elle regardait l’horizon depuis les hautes falaises qui bordaient le nord de l’île. Elle leva subitement la main, et projeta le galet qu’elle tenait dans les flots, plusieurs dizaines de mètres en dessous. Nilrasha s’aperçue de la présence de Caroline, mais elle ne dit pas un mot. La prêtresse s’avança, et s’agenouilla près de la jeune fille. « S’il n’y a pas de prêtres, sur Avalon, c’est parce qu’ils ont leur propre ordre, Sanna-Leena. » Nilrasha releva la tête, plongeant ses yeux noisettes dans ceux de Caroline. Elle était la première à l’appeler par son deuxième prénom, celui qu’elle préférait. Elle vit la prêtresse sourire. « Ce sont les druides. Et, tu peux duper les autres, pas moi, Sanna-Leena. Tu rêves de partir d’ici. » « ce n’est pas chez moi. » répondit-elle simplement, haussant les épaules. « Je ne veux pas que ça le devienne. » rajouta-t-elle, voyant Caroline ouvrir la bouche. « Dans ce cas, fais ton possible pour maîtriser ton don. » Elle haussa les épaules. « Pourquoi ? Je suis condamnée à vivre ici. » « Non, Sanna-Leena. Nous ne retenons personne contre son gré. Dès lors que ton apprentissage est terminé, tu as le choix : rester vivre parmis nous, sur Avalon, ou vivre chez les tiens. Sache toutefois, qu’une fois ta décision prise, tu ne pourra plus retourner sur Avalon par la suite. » A nouveau, haussement d’épaules. « Je ne reviendrais pas. »

« Prends soin de toi, Sanna-Leena. » Nilrasha sourit, et enlaça Caroline. Voilà trois ans qu’elle vivait sur Avalon ; ses pouvoirs étaient enfin sous son parfait contrôle, et les prêtresses avaient jugé que c’était là l’heure pour elle de décider de son avenir. Nilrasha n’avait pas oublié ses origines, et elle voulait revoir le château ou elle avait grandi … « Ne t’inquiètes pas, Caroline. » « Adieu, princesse des ombres. » Le sourire de la jeune femme s’élargit. La prêtresse s’était personnellement occupée d’elle, et elle avait fini par la surnommer ainsi. Elle était la seule que Nilrasha avait fini par apprécier. Et maintenant, elle quittait l’île pour ne jamais y revenir.
Le voyage jusqu’à Westburry lui prit plus de trois jours, en ayant acheté un cheval dans le premier village qu’elle croisât. Lorsqu’elle franchit les immenses portes de bois, elle fut assaillie par un vent de nostalgie. Elle se souvenait avec tendresse de chaque souvenir passés auprès des villageois, ou même des nobles. Elle conduisit son hongre dans la cour du château, ou elle mit pied à terre. Son père avait été informé de sa venue, et elle le vit apparaître, qui sortait de la grande salle, un immense sourire sur son visage. Il avait changé, depuis la fois ou, de colère, il l’avait si terrifiée. Plus barbu, ses tempes s’étaient teintées d’argenté. De même que sa chevelure mi-longue. Il n’était pas seul, remarqua-t-elle aussitôt. Un étranger se tenait près de lui ; elle ne l’avait jamais vu. Mais quelque chose dans son attitude ne lui disait rien qui vaille. Et elle avait raison de se méfier.

Les évènements s’étaient enchaînés à une vitesse folle. Nilrasha avait eu toutes les peines du monde à ne pas défaillir. A peine arrivée, que son père coulait des regards mielleux envers cet étranger. Et ce qu’elle avait appris par la suite était loin de lui plaire. A peine arrivée, déjà fiancée. Sa liberté, fraîchement retrouvée, briguée. Elle n’avait rien dit devant l’étranger - dont elle ne pouvait même pas se souvenir du nom, c’était dire -, mais dès qu’elle fut seule avec son père, elle avait laissé libre court à son imagination débordante. « Je reviens à peine que, déjà, vous trouvez le moyen de refourguez votre fille à un parfait inconnu ? » « Nilrasha, voyons, il n’est pas un inconnu, il… » « je me fiche parfaitement de qui il est ! Je ne peux tolérer une telle chose ! » « je ne peux tolérer que ma propre fille me fasse un tel affront ! Tu l’épouseras, un point c’est tout, la discussion est close ! » Le ton de son père avait subitement monté, et il semblait, à nouveau, à deux doigts de la frapper. Elle quitta ses appartements en claquant la porte.
Elle n’avait rien pu faire. Fiancée, puis mariée de force à un homme dont elle ignorait jusqu’au nom.
Sa chambre était restée telle que dans ses souvenirs. Dans ces derniers, elle avait souhaité avoir un mari, certes, mais pas comme ça…

La célébration avait duré plus de deux jours. Et Sanna-Leena n’avait pas décroché un mot. Du moins, en dehors des paroles de la cérémonie - dont, d’ailleurs, elle ne se souvenait plus… elle n’avait pas pensé un seul mot qu’elle avait récité.
La fête battait son plein, mais Sanna-Leena s’en écarta bien vite. Autrefois, elle se serait joins aux danseurs. Aujourd’hui, elle les maudissait. Etaient-ils donc tous aveugles ? Ne voyaient-ils pas que leur princesse n’était pas heureuse ? Non, ils ne le voyaient pas. Ces gens avec qui elle avait grandi l’avaient oubliée. Une ombre obscurcit brutalement son champ de vision. Levant les yeux, elle distingua le visage de l’homme qui était désormais son époux. Il ne dit rien, se contenta de l’observer. Il leva une main, la fit courir le long de la joue de Nilrasha. Le contact de sa main sur sa peau de nacre fut électrisant, et elle se dégagea violement, lui échappant et s’enfuyant dans le couloir. Sa voix, cependant, la suivit. « tu ne pourras m’échapper indéfiniment. »
Et en effet, il la coinça au détour d’un couloir. Surprise, elle faillit le percuter. Un sourire s’était dessiné sur ses lèvres, et la lueur de lubricité qui brillait dans ses yeux donnait la chair de poule à Nilrasha. Elle tenta de lui échapper une nouvelle fois, il la retint ; elle le gifla. Il la relâcha violement, et, secouée, elle recula contre le mur. Le bruit de l’épée qui sort du fourreau l’alerta. Il n’oserait tout de même pas la tuer dans son propre château..? Il crut saisir la peur dans ses yeux, car il abaissa l’épée, la faisant glisser le long du cou de la jeune femme, jusqu’au lacets de son corset. Il les trancha net ; saisie d’effroi, Nilrasha comprit ce qui allait suivre. Il lâcha l’épée, le métal tintant lorsqu’il tomba sur le sol. S’approchant subitement de Sanna-Leena, il lui glissa à l’oreille ; « tu es à moi. » Elle pouvait sentir son souffle sur son cou, et ce fut déclencheur. Glissant contre le mur, elle lui échappa à nouveau, mais cette fois, elle irait là ou il ne pourrait pas la rattraper.
Elle ne prit aucune affaire, se rendit dans les écuries, sella le premier cheval qu’elle trouva, et s’en fut avant qu’on ne remarque qu’elle avait quitté définitivement Westburry.

Elle espérait qu’à Camelot, dont elle avait tellement entendu parler, on l’accueillerait. Même si elle en doutait. Tout, plutôt que d’appartenir à cet homme.